Un conseiller scientifique pour le gouvernement : pour faire quoi ?
Les crises causées par la pandémie de COVID19 et le changement climatique global ont notamment eu pour effet de replacer la science au cœur du débat public.
En révélant que la recherche scientifique, dans ces méthodes comme ces résultats, n'était pas toujours comprise et que cette incompréhension pouvait avoir des effets délétères (#ultracrépidarianisme, #climatoscepticisme) ces crises ont conduit à poser la question suivante : comment faire pour que scientifiques et politiques soient mieux connectés ?
Pour répondre à cette question, dans son rapport rendu en juin dernier à la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Philipe Gillet propose que soit créée « la fonction de Haut-conseiller à la science positionné auprès du Président de la République ou du Premier Ministre ».
Bizarrement, cette proposition importante - c’est l’une des premières que formule le rapport - n’a pas été tellement médiatisée ni fait réagir. A l’exception notable de 31 sociétés savantes qui ont signé une longue note à ce sujet fin septembre - note que j’aurais sans doute manqué si je n’étais tombé sur cet article de Sylvestre Huet.
En bref, ces sociétés savantes sont favorables à l’idée. Mais, à « un Haut-conseiller à la science », elles préfèrent un « Conseiller Scientifique du Gouvernement ». Différence purement sémantique ? Pas du tout.
Certes, les deux propositions se rejoignent sur la nécessité de confier ce type de poste à une chercheuse ou à un chercheur à la légitimité scientifique incontestable.
Mais, là où le rapport Gillet plaide pour un « Haut-conseiller » jouant le rôle de trait-d’union entre les organismes scientifiques du pays et le Gouvernement pour l'aider à définir des orientations scientifiques nationales sur des grands sujets comme l'IA, etc. ; les sociétés savantes, elles, imaginent plutôt une personnalité conseillant le Gouvernement dans ses choix, pour qu'il fonde ses politiques publiques et leur évaluation sur la base de consensus scientifiques.
En bref : là où le premier voit un conseiller "stratège", les seconds espèrent un conseiller "consultant".
Sur ce sujet comme sur d’autres, on gagnerait sans doute à tirer des enseignements de ce qui se fait ailleurs. Car l’idée de désigner un scientifique de haut vol comme l'interlocuteur privilégié des dirigeants n’est pas nouvelle : on retrouve un dispositif similaire dans plusieurs pays, comme le Canada, la Grande-Bretagne ou la Nouvelle-Zélande.
Dans un article récent paru jeudi dernier dans Science, Patrick Vallance, président du Muséum d’Histoire naturelle de Londres et conseiller scientifique en chef du gouvernement britannique de 2018 à 2023, partage justement son expérience à ce poste. Il insiste notamment sur une recommandation simple mais importante : « Les conseils doivent être présentés sous une forme pertinente pour les décideurs politiques. »
Sous une forme pertinente, c’est-à-dire émis au gré d’un vrai dialogue avec les politiques et pas sous la forme d’un déferlement d’informations et de données exactes mais hors de propos.
Même idée chez Anthony Fauci, ancien conseiller médical en chef du président des États-Unis : dans le bilan qu'il dressait de sa carrière fin 2022 dans le New York Times, il recommandait aux scientifiques de d'apporter leur expertise dans un « langage clair ».
Autrement dit, au-delà du champ d'action exact qui sera attribué en France à cette fonction de conseiller, il faudra à la personne désignée à ce poste, pour pouvoir évoluer parmi des décideurs politiques et savoir s’en faire comprendre et entendre, un minimum de sens politique.
🍒 Cherry Picking
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