Les liens entre scientifiques et politiques après la crise sanitaire
Cette semaine, la question des rapports entre scientifiques et politiques revient, obsédante. Les seconds ont-ils assez écouté à la parole des premiers ? Martina Knoop, physicienne au CNRS, estime mardi dans La Terre au carré sur France Inter, que les « décisions [politiques] ne s’appuient pas assez sur des faits et des arguments scientifiques », notamment en France. Elle s'interroge sur la place des scientifiques en politique : « Pourquoi les décideurs et les élus n’écoutent-ils pas plus les scientifiques ? Pourquoi y a-t-il aussi peu scientifiques chez les élus ? ».
Dans Marianne, le philosophe Jacques Billard estime que, pour être davantage écoutée, la science doit être fréquentée. « Il faut reprendre confiance dans les sciences, selon leur nature. En les fréquentant, elles sauront éclairer quiconque doit prendre des décisions. » Dans cette tribune du Monde parue jeudi, quatre universitaires demandent à ce que la place laissée aux citoyens dans la recherche scientifique soit plus importante, notamment en leur permettant d’inspirer des travaux de recherche. C'est, peut-être, une des clés qui facilitera le dialogue entre scientifiques et citoyens.
Car, pour l'heure, le constat est sévère. Et celui de Richard Horton, rédacteur en chef de The Lancet, pas très tendre, comme l'explique jeudi Anne-Laure Barral sur France Info. Richard Horton se dit « choqué par le fossé qu'il y a eu entre l'accumulation de preuves scientifiques et la réaction des gouvernements et estime que l'on aurait pu éviter de perdre autant de vies ». Le livre de Richard Horton ne revient pas sur l'épisode Surgisphère, qui avait terni la réputation de sa revue médicale. Dommage.
Dans Le Figaro, Laurent Vercueil, neurologue au CHU Grenoble-Alpes, revient sur les controverses liées à la chloroquine et sur le décalage entre le rythme des médias et celui de la science : « la science déçoit, c’est sa fonction principale ». Pendant ce temps, Didier Raoult est auditionné jeudi devant la commission d’enquête parlementaire sur la gestion de crise. Le Monde nous apprend que le baromètre politique d’Odoxa paru le 27 mars place Didier Raoult en deuxième place des « personnalités politiques suscitant le plus de soutien ou de sympathie ».
Et aussi...
[LPPR] Mercredi 24, c’était au tour du Conseil économique, social et environnemental, une semaine après le CNESER, de donner son avis consultatif sur projet de la LPPR. Le CESE souligne le « caractère très préoccupant de la situation de la recherche publique française » et n’est « pas convaincu » que le projet du gouvernement « soit de nature à inverser la tendance ».
[Science Ouverte] L’UNESCO invite à recourir à la science ouverte pour mieux faire face à l’épidémie de SARS-CoV-2.
[Edition] « Faire prospérer leur activité et leur domaine de recherche » : c’est, expliquent Yves Gingras et Mahdi Khelfaoui dans The Conversation, l’objectif de certains scientifiques qui crééent de nouvelles revues savantes qu’ils gèrent ensuite eux-mêmes pour faciliter les publications d’un groupe de chercheurs.
[Éthique] « Pourquoi la science a-t-elle besoin de diversité ? » Dans Lifeology, Avesta Rastan répond à la question en mettant en évidence les différences de salaires entre chercheurs blancs et noirs aux États-Unis. Nature revient sur la notion de « cultural taxation ». Elle désigne les universitaires issus de minorités qui prennent sur leur temps de recherche pour porter les questions de diversité, d’équité et d’inclusivité auprès de leurs collègues.
[Femmes&Science] Pendant le confinement, les femmes scientifiques ont moins publié que les hommes. La raison ? l’inégale répartition du travail domestique, d’après les données sur lesquelles s’appuient ces articles de Times Higher Education.
[Idée] 76 scientifiques européens signent un texte demandant la création d’une fondation européenne sur la prévention des risques environnementaux et sanitaires. Voir leur tribune ici, qui incite vivement les grandes fortunes à mettre la main à la poche.
[Vulgarisation scientifique] Qui sont les « sceptiques », « debunkers » ou encore « partisans de la zététique » ? Ouest France a interrogé plusieurs de ceux qui luttent contre pseudo-sciences, charlatans et fake news sur Internet.
Et puis on finit par un apéro avec Jamy Gourmaud, de C’est Pas Sorcier. C’est offert par Le Monde. SPOILER : « Jamy est sympa comme à la télé (« même s’il a ses côtés grognons », confie Manuela [sa femme] que sa franchise honore), mais le camion blanc, c’était du flan... ».
Sur Grand Labo
Notre live du mercredi était consacré à l’engagement politique des chercheurs. A l’occasion des élections municipales qui se déroulent aujourd’hui, nous avons aussi recueilli les témoignages de scientifiques candidats : c’est à lire juste ici.
Focus sur… Science in exile
Avec le court documentaire Science in Exile, Pascale Laborier, professeure de science politique à l’université Paris Nanterre, et Pierre-Jérôme Adjedj, photographe, attirent l'attention du public sur un sujet selon eux « trop peu médiatisé » : les scientifiques exilés. Pendant 9 minutes se succèdent les témoignages de scientifiques contraints de quitter leur pays.
« Tout est parti d’un projet de recherche auquel je participe sur l’accueil des chercheurs contraints à l’exil en France, explique Pascale Laborier. Il y a très peu de littérature sur ce sujet en France ». En 2017, elle discute de cette idée avec Pierre-Jérôme Adjedj. Ils lancent un projet de portraits photographiques, qui sera présenté 2021. « Mais pendant le confinement, le projet a pris une autre dimension », poursuit-elle. L’artiste Romina De Novellis qui, depuis son appartement, projette chaque soir dans sa rue des productions de chercheurs et d’artiste, leur propose de projeter un film tiré de leur projet photo. « L’objectif du film était surtout d’expliquer ce qu’est un scientifique en exil et de soutenir Fariba Adelkah, détenue en Iran », explique Pascale Laborier. De là, l’idée de produire un autre film, plus abouti, paru à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés, le 20 juin.
Ce dernier film met en mouvement les images issues du projet photo. Celles-ci sont des superpositions des portraits de scientifiques exilés, auxquels se mêlent des photographies de leurs pays d’origine et d’accueil, mais aussi des objets personnels symbolisant leurs recherches. On y entend les témoignages de ces scientifiques et de ceux qui les ont accueilli. « Ce projet est plus qu’une aventure esthétique, nous voulons donner une parole et une image à ces scientifiques exilés », conclut Pierre-Jérôme Adjedj.
Agenda
> Sommet mondial de Creative Commons / 19 au 24 octobre / en ligne. Pendant 5 jours, des discours, ateliers, rencontres interactives… avec des militants, bibliothécaires, éducateurs, avocats ou autres impliqués dans la communauté des Creative Commons.
> « Science ouverte et communs » / 29 juin - 18h30 à 20h / en ligne. Conférence avec Florence Piron, anthropologue et éthicienne, présidente et fondatrice de l’association science et bien commun, qui présentera sa vision de la science ouverte.
Wait, What ?
L'illustrateur Jim Jourdane a produit pendant le confinement une série de dessins qui racontent les occupations des chercheurs de différents domaines en plein #lockdown. Entre le 27 mars et le 28 avril, il a dessiné les passes-temps d’ornithologues, de virologistes, d’astrophysiciens, d’archéologues… C’est joli, et surtout c’est drôle. C’est à voir sur son compte Instagram. Et puis si vous voulez mieux connaître l’artiste, nous l’avions rencontré l’an dernier.