"Just One Giant Lab", la plate-forme de recherche participative qui veut sauver le monde
Et si la recherche dépassait les frontières des institutions scientifiques ? Et si chaque citoyen pouvait participer à un programme de recherche d'intérêt général ? C'est le rêve des fondateurs de Just One Giant Lab (JOGL) qui ont lancé, fin juin, la première version d'une plate-forme de recherche participative conçue pour favoriser la production de savoirs partagés, tournés vers la résolution des grands défis du monde actuel.
C'est un de ses chevaux de bataille. Une conviction à laquelle Thomas Landrain revient sitôt qu'on lui pose la question des origines de JOGL. Une idée qui, déjà, du temps où il présidait La Paillasse, faisait de lui un ardent promoteur de la science ouverte : les possibilités offertes par le numérique sont sans commune mesure avec celles du système multiséculaire de production et de diffusion de la connaissance dans lequel la science se fait encore aujourd'hui.
Pour Thomas Landrain, co-fondateur et président de JOGL (avec Leo Blondel pour CTO), le mode de fonctionnement des institutions scientifiques, privées comme publiques - "bien que nécessaires", précise-t-il - est à bout de souffle. Il ne permet pas de poursuivre tous les projets de recherche qui mériteraient pourtant de l'être "pour le bien de l'humanité".
Recherche collective, résultats partagés
D'où la nécessité de "passer à l'échelle", de dépasser le cadre trop étroit des opérateurs traditionnels de la recherche scientifique. Comment ? En ouvrant celle-ci à tous les citoyens, qu'ils soient chercheurs, responsables associatifs, étudiants, amateurs de science, ingénieurs, patients, chefs d'entreprise, etc. L'idée est simple : permettre à chacun, ou bien de proposer un projet de recherche en lien avec un problème d'intérêt général - par exemple l'un de ceux définis par les Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies - ou bien de contribuer soi-même à un de ces projets en mobilisant une connaissance, même empirique, ou bien... les deux à fois.
Le tout au moyen d'une plate-forme numérique, gratuite, dont l'algorithme doit favoriser la mise en relation des membres et qui doit garantir l'existence d'un cadre d'indépendance et de rigueur dans l'évaluation des projets, chacun d'eux faisant l'objet d'un reviewing d'experts soumis à un comité d'éthique. Cerise sur le gâteau : "tous les résultats, qu'ils se présentent sous la forme d'un accroissement de la connaissance ou de la mise au point d'outils, sont publics et accessibles par toutes et tous", explique Thomas Landrain. Qui renchérit : "la recherche n'est pas réservée aux chercheurs académiques, c'est un process qui peut-être utile à tout citoyen qui a une forme d'expertise. Notre enjeu, c'est de le faire comprendre."
A ses côtés, Marc Santolini, avec lequel il me reçoit dans les locaux de l'association, basée au Centre de Recherches Interisciplinaires (CRI) à Paris, acquiesce. Formé à l'école d'Albert-László Barabási, l'un des pionniers de la science des réseaux, Marc, chercheur au CRI, a travaillé sur la façon dont les communautés scientifiques fonctionnent et produisent de la connaissance avec plus ou moins d'efficacité. "JOGL est un peu une implémentation de ces recherches", dit-il. "Les communautés se sont déjà emparées d'internet pour produire de l'intelligence collective. JOGL essaie de donner un cadre dans lequel l'expertise scientifique est reconnue et validée, et où les ressources et l'algorithme de la plate-forme ne sont pas dans une boîte noire, comme ça l'est chez Google et Facebook."
Dans cet esprit, un premier programme de recherche sur la vaccination, lancé mi septembre, aura valeur de test. Poussé depuis la plate-forme par Camille Masselot, il poursuivra deux objectifs : trouver de meilleures approches pour déjouer l'hésitation vaccinale ; mettre au point de meilleures solutions pour accompagner patients et citoyens sur leur parcours vaccinal. Plus globalement, l'idée est d'aller vers une meilleure compréhension de la vaccination et comprendre comment augmenter la couverture vaccinale en France et dans le monde.
Ni actionnaires, ni levées de fond
Mais quel modèle économique pour ce projet ? Comment rendre viable une plate-forme open source ? "Nous voulions donner des garanties à la communauté des utilisateurs que toute la valeur créée par elle soit totalement réinvestie dans le projet", explique Thomas Landrain. Exit, donc, le modèle classique des starts-ups : ni actionnaires, ni levées de fond, pour ne pas prendre le risque d'étouffer un projet qui se veut expérimental et qui, selon ses fondateurs, doit évoluer au rythme et au gré des choix de sa communauté. Just One Giant Lab est une association. Mais Thomas Landrain n'en est pas à son premier coup d'essai. Pas question pour lui de tomber dans le travers de certains projets d'intérêt général qui font long feu faute d'un modèle économique viable.
Pour l'heure, outre les demandes d'aides publiques, l'idée est surtout de monétiser la plate-forme en tant qu'incubateur de projets scientifiques ou d'innovation : "On choisit une thématique selon nous importante à animer et on va chercher des partenaires qui souhaitent financer ce genre d'animation", explique Thomas Landrain. Car, pour lui, il existe une zone ou peut se recouper les deux cercles de l'intérêt général et de l'intérêt privé. Rien d'illégitime, donc, à s'associer les services de Sanofi, par exemple, qui sera partenaire du programme de recherche sur la vaccination.
Défis
Les défis qui attendent JOGL sont à la mesure de son ambition. On en retiendra trois, sans aller dans les aspects techniques du peer-reviewing. Le premier tient probablement à sa communication : il n'est pas toujours simple de présenter une plate-forme dont les tenants et aboutissants sont nombreux, et qui s'adressent à des acteurs assez différents. Parviendra-t-elle à faire comprendre ses enjeux à des publics aussi divers ? Le second défi, lié au premier, tient à l'utilisation de la plate-forme. Même si les objectifs des fondateurs de JOGL ne s'expriment pas en termes de nombre d'utilisateurs, on peut douter de la durabilité d'un projet d'un site victime du syndrome Google Plus. Enfin, autre défi, et pas des moindres : communiquer suffisamment habilement pour que les partenariats avec les industriels envisagés pour financer au moins en partie la plate-forme ne nuisent pas à l'image de JOGL aux yeux d'une catégorie non négligeable de la population qui n'a pas une confiance exagérée dans le monde des laboratoires pharmaceutiques et autres.
Mais, si ces premiers défis sont relevés, alors il se pourrait bien que Just One Giant Lab soit - ou préfigure - une vraie révolution dans la manière de faire de la science que beaucoup, ouvertement ou non, appellent de leurs voeux.
Le lancement officiel de Co-Immune se tiendra le 14 septembre au CRI. Pour en savoir plus : https://app.jogl.io/program/coimmune