Le trésor caché des facs

Ou comment les collections universitaires, après un lent déclin, sont de retour sur la scène scientifique.

Il y a quelques mois, j’étais en tournage à Strasbourg pour l’épisode sur l’histoire des observatoires astronomiques. Juste avant de faire l’interview du directeur de l’observatoire, l’équipe et moi tombons sur un énorme coffrage en bois dans le hall d’entrée de l’observatoire. 

Un peu curieux, on demande au directeur ce qu’il y a dedans. Il fait mieux que nous répondre : il ouvre le coffrage devant nous. Et là, on découvre un Globe de Coronelli de 1697 qui venait d’être restauré. 

Des pièces comme celles-là, d’une grande valeur historique et patrimoniale, j’en ai croisé pas mal ces derniers mois dans les universités. 

Instruments scientifiques anciens, fossiles, herbiers, minéraux, insectes, tableaux, dessins, cartes, monnaies, cartes postales ou encore photographies… au bout de ces couloirs, derrière ces portes devant lesquelles, si vous êtes à l’université, vous passez peut-être tous les jours, se trouve un patrimoine aussi précieux qu’insoupçonné. 

Mais d’où viennent ces collections universitaires ? Qui s’en occupe ? Et est-ce qu’elles servent à quelque chose ? 

C’est ce que j’ai essayé de comprendre en partant à la recherche de ce trésor caché des facs. 

 C’est quoi, une « collection universitaire » ? 

En France, il existe une quarantaine de musées et de collections dans les universités. Certaines ont la chance d’être conservées dans des musées qui leur sont dédiées. 

Comme le Musée d’Ethnographie de l’Université de Bordeaux. Il abrite environ 5500 objets d’origine extra-européenne, surtout asiatiques. On y trouve des objets de la vie domestique, des vêtements et des parures, des instruments de musique, des objets de culte, etc. Mais ces musées universitaires sont un peu l’arbre qui cache la forêt. 

Leur fonction, leur taille, leur état de conservation et la façon dont elles sont valorisées aujourd’hui : tout ça dépend beaucoup de l’histoire particulière de chaque collection, de la discipline à laquelle elle se rattache et, aussi, dépend beaucoup de l’intérêt qu’on lui porte. 

Car malheureusement, à quelques exceptions près, les collections universitaires ont été abandonnées. Après la Deuxième guerre mondiale et pendant des décennies, une partie de ce patrimoine a été remisé dans des espaces pas conçus pour les conserver, avec trop peu de personnel et pas assez de moyens pour s’en occuper. Certains objets se sont dégradés, d’autres ont été « empruntés », d’autres purement et simplement jetés à la benne. 

Alors, qu’est-ce qui s’est passé ? Pour le comprendre, il faut savoir à quoi sert une collection à l’origine. 

A deux choses, principalement : faire de la recherche et enseigner. D’autres fonctions sont apparues plus tard, mais j’y reviendrai. 

Une collection, ça sert à faire de la recherche, d’abord. Surtout au XIXe siècle, à une époque où la pratique des sciences naturelles est très descriptive et comparative, ces collections sont au coeur du travail des enseignants-chercheurs. C’est compliqué d’imaginer un paléontologue sans fossile, un botaniste sans herbier, un géologue sans roches ni minéraux. 

Ensuite, ces collections ont été rassemblées pour l’enseignement. Pour former les étudiantes et étudiants, pour leur faire voir et manipuler ce qu’ils sont sensés étudier, les universités achètent ou récupèrent par exemple des instruments d’expérimentation en physique ou encore des modèles d’anatomie ou de biologie. 

Déclin des collections 

Qu’est-ce qui a conduit au déclin de ces collections ? 

Pour le comprendre, il faut se rappeler que la science est une activité humaine. Les pratiques changent, la façon de considérer une discipline évolue en fonction du progrès des connaissances ou de l’intérêt supposé de telles recherches par rapport à telles autres. D’une génération de chercheurs et d’enseignants à une autre, ce qui semblait indispensable peut devenir secondaire. 

Dans les sciences naturelles, par exemple, l’essor de la biologie moléculaire a donné lieu à de nouvelles méthodes et à de nouvelles questions de recherche qui n’étaient pas basées sur les fonds des collections universitaires. C’est pas tellement que les collections universitaires ont perdu leurs fonctions, c’est plutôt que l'importance croissante d'autres types de recherche ont monopolisé l'attention des scientifiques. 

D’où ce cercle vicieux : moins d’intérêt pour les collections, donc disparition de certains métiers (le professeur conservateur, le taxidermiste, le naturaliste), donc, des collections moins bien gérées, donc un désintérêt qui s’accroit, donc des universités investissent moins dans leurs collections, etc.  

Évidemment, je schématise, d’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme l’évolution des cursus universitaires ou le manque de financement des universités en Europe.  

Des collections préservées par des passionnés 

Toujours est-il que beaucoup de ces collections se sont retrouvées stockées dans des greniers ou des sous-sols, voir ont été perdues ou rayées des catalogues. Certaines ne doivent leur survie qu’à l’implication personnelle d’enseignants-chercheurs passionnés. 

Comme à l’Université de Lille, où une association d’anciens personnels se consacre depuis plusieurs années à la collecte et la sauvegarde de vieux instruments scientifiques. 

Autre passionné, que j’ai rencontré à Sorbonne Université, cette fois : Santiago Aragorn. Arrivé en France pour y faire son doctorat, ce biologiste de formation s’est pris de passion pour la collection de zoologie. Il s’est battu pour donner un nouvel espace à cette collection riche de plusieurs milliers d'animaux et pièces anatomiques variées. Il a même lancé une campagne de financement participatif pour aider à payer le mobilier nécessaire à la bonne conservation de la collection. 

 C’est aussi pour ses étudiants que Jacopo Vizioli, professeur en biologie à l’Université de Lille, s’occupe lui-même, avec quelques collègues, de la collection des modèles anatomiques en carton pâtes du Dr Auzoux. 

Comme ces pièces sont fragiles, il travaille avec le service de numérisation de son université pour qu’elles soient numérisées et puissent ensuite être manipulées virtuellement par les étudiantes et étudiants.

Réactions 

Même si tout n’est pas simple pour les collections universitaires aujourd’hui, toutes ces réalisations témoignent d’une prise de conscience mondiale qui date des années 2000. 

En 2001, à Halle, en Allemagne, plusieurs responsables européens de collections et de musées d’universités tirent la sonnette d’alarme sur l’état de ce patrimoine. 

Dans le sillage de cette déclaration, se créée une association européenne de défense des collections universitaires : Universeum. J’ai rencontré son président, Sébastien Soubiran, qui m’a expliqué ce qui a déclenché cette prise de conscience. 

Sébastien Soubiran — « Il y a plusieurs éléments déclencheurs. Il y en a qui est à mon sens lié aux différentes réformes des universités. (…) Les universités en Europe essaient de créer de nouvelle structures. Et donc ça pousse à se poser la question de son identité. (…) Le patrimoine peut-être considéré comme un élément qui permet de construire une histoire, de construire une identité, qui peut être visible à l’échelle locale, nationale, européenne et internationale. » 

« Il y a plusieurs musées universitaires et notamment européens anciens (Oxford, Cambridge, Leyden, Uspala, Halle) (…) vont lancer une alerte (…). Il va y a voir cette fameuse déclaration de Halle où, justement, ils vont alerter sur l’état de ces collections, sur la nécessité pour les universités de se préoccuper de leurs collections scientifiques, pédagogiques, historiques, devenues patrimoniales pour la plupart et de leurs structures muséales. » 

« Évidemment, il ne s’agit pas juste de préserver un patrimoine et une histoire, il s’agit aussi de préserver un patrimoine scientifique et des données. On considère ces collections comme des grands instruments de recherche, des données qui participent à la construction de nouvelles connaissances. » 

Les collections pour la science 

Construire de nouvelles connaissances, les collections de paléontologie en sont un bon exemple. 

A Montpellier, le service de Véronique Bourgade, conservateur du patrimoine et directrice du Pôle Patrimoine Scientifique, travaille main dans la main avec des enseignants-chercheurs comme Pierre-Olivier Antoine, professeur à l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier. 

Véronique Bourgade - « Je pense que les gens n’imaginent pas qu’il y a des collections de statues, de tableaux, de mobiliers, mais aussi des fossiles, des minéraux, des préparations anatomiques. Ils connaissent le Jardin des Plantes mais je ne suis même pas sûre qu’il soit rattaché dans leur esprit à l’Université. » 

Non seulement ces collections continuent à être alimentées, comme avec ce rhinocéros, mais en plus de nouvelles méthodes d’analyse permettent aux scientifiques d’exploiter les spécimens des collections d’une façon que n’imaginaient pas ceux qui les ont recueillis à l’époque. 

Les méthodes d’analyse d’ADN, par exemple, on donné une deuxième vie à des collections. Grâce à l'analyse du génome d’os de Neandertal présent dans des collections, on a par exemple découvert les relations plus étroite entre les Néandertaliens et les hommes modernes. 

Elles deviennent aujourd’hui un énorme gisement d’informations. Les données qu’elles recèlent permettent d’évaluer l’état global et l’évolution de la biodiversité. 

C’est une question que les gestionnaires d’herbiers connaissent bien. Marion Martinez, chargée des collections de l’herbier de l’Université de Strasbourg, m’en a parlé. 

Marion Martinez - Chargée des collections « Ici, nous avons plus ou moins 500.000 échantillons. (…) Il faut s’imaginer que ces collections là, c’est un outil scientifique, c’est une base de données du vivant qu’on peut venir étudier pour différentes choses, que ce soit de la biogéographie, de la génétique, de la systématique et de l’évolution, etc. »

Collections et diffusion des savoirs 

A cette vocation scientifique s’en ajoute une autre : tout cet héritage matériel, c’est un moyen extraordinaire de partager les savoirs. 

Au début consacré à l’enseignement de l’histoire de l’art et de l’archéologie, Musée des Moulages de l’Université Lumière Lyon II est également un lieu de médiation et de diffusion des savoirs. Il rassemble près de 1600 moulages en plâtre, copies fidèles et grandeur nature de célèbres sculptures. Ses collections sont le reflet de l’évolution de la sculpture occidentale depuis la Grèce archaïque jusqu’au XIXe siècle. 

Spectacle de danse, concerts ou théâtre, le Musée accueille des performances artistiques au beau milieu de ses collections. Une manière de tisser un lien entre elles et le grand public, et de leur donner une deuxième vie, peut-être, aussi. 

Conclusion

Reste une question : comment faire pour que le patrimoine scientifique de demain soit préservé ? Pour que les instruments et outils qui permettent aujourd’hui de faire la science soit, eux aussi à leur tour patrimonialisés ? 

C’est la question que s’est posée il y a une vingtaine d’années Catherine Cuenca. Elle est à l’initiative de la mission de sauvegarde du patrimoine scientifique et technique contemporain. (PATSTEC - un acronyme qu’on oublie pas) 

Je l’ai rencontré à Nantes. 

Partout en France, les membres de ce réseau national inventorient et documentent les objets et documents qui sont représentatifs de la recherche publique et privée dans leurs régions. 

Comme à Rennes, où Julie Priser, assistante des collections d'instruments scientifiques, apporte son concours à cette sauvegarde. 

Bon, on résume ?

Même si leur situation s’améliore globalement, les collections universitaires restent peu connues des universitaires eux-mêmes, et encore moins du grand public. Instruments de science, outils pédagogiques, doublée d’une valeur patrimoniale et historique, vecteur de partage des savoirs, elles sont pourtant précieuses. Et, comme souvent, ce qui est précieux, est fragile. 

Alors il faut en prendre soin, de ces collections. Pour ça, il faut plus de moyens, plus d’espaces, plus de personnel, plus de coordination. Mais surtout, il faut s’y intéresser. Un patrimoine ne vit vraiment que s’il y a des gens pour l’utiliser, le regarder. 

Alors, allez les voir, ces collections, quand c’est possible, par exemple pendant les journées européennes du patrimoine. Si vous êtes étudiante ou étudiant, participer à des événements de valorisation de ces collections. Si vous êtes enseignant-chercheur, prenez le temps de signaler un instrument qui ne sert plus dans votre labo. Créez ou, si elle existe déjà, rejoignez l’association de valorisation du patrimoine de votre université. Il y a plein de moyens d’aider à sauvegarder ces collections. 

Après tout, cet héritage, ce trésor, c’est le vôtre.